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30 mai 2018 - 55 ANS dans 8 jours et 0 dents

De toute manière ça a merdé depuis le départ. J’ai toutes les convocations m’intimant de me présenter le 30 mai au service ambulatoire du PSR, à 7h30 pétantes, avec la tonne de formulaires et consentements en tous genres que tu as pris soin de remplir, parapher, signer. Pire que chez le notaire. Auparavant j’ai bénéficié du RV avec l’anesthésiste, gentille madame attentive et scrupuleuse. Son compte rendu démontre que mon profil l’oblige à prendre toutes les précautions. Je serai prémédiquée dès mon arrivée. Elle insiste pour qu’on ne pratique ni perfusion, ni tensiomètre à mon bras droit (retrait des ganglions lymphatiques oblige). Je dois faire radio des poumons et prise de sang. Je suis confiante et la remercie.

Le 29 mai en début de soirée, j’ai un mail du PSR qui me confirme que je suis attendue le lendemain à 10h40. ?????? 10h40 ? 7h30 ? Evidemment, à cette heure-ci, personne ne répond à ma tentative de coup de fil supposé démêler le vrai de l’erroné. J’ai déjà commencé ma diète pour respecter la sacro-sainte règle d’être à jeun 12 heures avant l’intervention (quand je dis que l’anesthésiste prend ses précautions). Je suis dans les starting blocs alors que le jour pointe péniblement le bout de son nez.

Et donc je me présente à 7h30, déjà un peu remontée, au dit service ambulatoire. Un monde fou. Des jeunes, des encore plus minots chougnant éloquemment, des vieux silencieux, certains parqués sur des fauteuils roulants manœuvrés par des ambulanciers, Messieurs et Mesdames Tout le Monde, munis chacun de son précieux dossier d’hospitalisation. On est appelé tour à tour par une voix qui n’invite pas au voyage.  On mais pas moi ! Il est 7h52 et je suis en quasi ébullition. Je m’impose au guichet, manquant de me boucher les oreilles quand la voix stridente me foudroie littéralement. Il faut que j’insiste pour ne pas être refoulée illico presto. "Mais vous êtes convoquée à 10h40 ! – Non madame 7h30, etc, etc etc, et….. – Vous revenez à 10h40. " Regarde-moi bien, Madame-t’as-intérêt-à-réduire-ton-volume-sonore, même pas en rêve. Et de lui flanquer mon dossier d’admission sur son bureau, les bras croisés qui disent d’eux-mêmes "tu vois là, tant que tu ne me prends pas en charge, je reste arrimée à ton guichet". Ça marche.

A 8h18 je suis dans une chambre à 2 lits en guise de chambre seule. Je dois mettre la tenue de combat de l’opérée. Et j’attends, allongée, en ayant déjà épuisé tous mes Sudokus. La télécommande de la télé ne fonctionne pas. J’ai tout le temps d’apprécier le message de ma petite sœur m’informant qu’elle peut venir me chercher. Super de ça peut pas mieux tomber !

10h23. Le lit d’à côté vient de se remplir par une jeune nana accompagnée de sa maman. On entend à travers la cloison un bambin qui hurle à la mort "Veux pas, veux pas". "Quelqu’un" vient s’entretenir avec ma voisine. En tendant l’oreille je comprends que c’est l’anesthésiste. Et moi ? Ce n’est pas mon tour… Je dors...

"Allez Madame, on y va…. – Et l’anesthésiste ? – Ah ben vous allez le voir – Oui mais je ne suis pas prémédiquée ! " Silence. 

Il est 12h et quelques, un couple de brancardiers sillonne d’interminables couloirs pour me conduire au bloc opératoire. Ils discutent entre eux des affres de leur quotidien au PSR….. et me balancent littéralement dans une salle où règne une ambiance survoltée. Une pièce immense, toute en longueur, dans laquelle s’entremêlent, épars, des lits comme le mien, vides. Je suis plantée à l’entrée de la salle, bouchant le passage, avec 4 gars qui s’agitent verbalement à ma gauche. Pas un mot, pas un regard. J’en verse une larme avant de me manifester de la manière la plus affirmée qui soit. Le quatuor n’apprécie pas vraiment jusqu’à concéder qu’il est temps de me trimballer au bloc. Rebelote, me voilà flanquée le long d’un mur sans un bonjour ni au revoir, toute seule, si ce n’est l’agitation continue de nombreux Belphégores qui vont et viennent. Pas le temps de m’interroger qu’une blouse bleue s’impose au-dessus de moi. "Alors ma p’tite dame, c’est pourquoi que vous êtes là ? … - Heu, bonjour oui c’est moi, etc.. Et vous ? – Votre anesthésiste me répond-il tout en me tâtant le creux du bras – Hum vous z’avez pas beaucoup de veine dites-moi". Et hop il me fiche direct une perf sur le dos de la main. Je lui demande pourquoi je n’ai pas été prémédiquée. Silence, son museau sur ses sabots de salle d’op’, pour m’asséner "Vous n’en avez pas besoin !  - Heu non non non que je lui réponds, c’est bien marqué sur le compte rendu de ma visite pré op’ et puis aussi qu’il ne faut en aucun cas me piquer ou me comprimer le bras droit." Sa réponse  "Est-ce que je viens de vous piquer au bras droit ? – Non mais je vous préviens on ne sait jamais (vu que t’as pas tenu compte des consignes de ton estimée consœur rencontrée 5 jours plus tôt)."

Le bloc opératoire est glacial. Une infirmière masquée fouraille sous la couverture chauffante pour me placer un tas d’électrodes. Je répète qu’il ne faut pas toucher à mon bras droit., reprise aussitôt par le persiflage de l’endormisseur de faction "Mais elle va pas arrêter avec son bras". Je ne reconnais pas Chirurgien Speedy quand il se penche sur moi "Alors on vous fait quoi déjà ?" Que dire alors que je suis déjà quelque peu partie dans des contrées éthérées. J’entends au loin l’infirmière s’inquiéter de savoir l’heure à laquelle elle va bien pouvoir manger, ce à quoi Speddy répond que vu l’état de ma dentition il n’y en a pas pour longtemps. J’ai juste senti à un moment que l’on me travaillait ardemment la mâchoire du bas.

Je suis en salle de réveil. J’ai les 2 prothèses dans ma bouche qui ne tiennent pas en place. C’est hyper désagréable. Il y a des voix à ma droite que j’essaye de héler en tournant la tête. Et que vois-je ? Un énorme tensiomètre automatique qui comprime mon bras droit. Un son suffisamment convaincant sort de mes tripes pour qu’une infirmière vienne à moi. Elle est confuse, m’ôte illico le brassard incriminé. Non elle ne sait pas comment faire avec mes prothèses. Monsieur Anesthésiste débarque. "Allons allons, pas d’affolement, ce n’est pas bien grave tout ça". Trop empruntée avec ma nouvelle bouche pour lui mettre ma pogne verbale dans sa face d’égo autiste. Il perd rien pour attendre celui là.

Il est 14h quand je retrouve ma chambre seule bien remplie. Ma voisine est déjà habillée et s’apprête à partir. Un plateau repas composé de compote yaourt et crème dessert m’attend. Je me bagarre avec ce que j’ai dans la bouche en me demandant comment ça va bien pouvoir fonctionner. Si l’on n’est pas pressée, résistante au mal et une dalle impatiente, ça passe quand il suffit d'aspirer. Une fois le ventre moins vide, j’ai maintenant la sensation que ma bouche mange tout mon visage, et en baissant les yeux j’entraperçois ma lèvre supérieure bien gonflée. J’ai un goût de sang persistant au fond de la gorge et l’impression que le palais en résine prend toute la place. J’arrive à parler, même si les sons que j'émets me sont bizarres. Je n’ai pas franchement mal. Dans ce nouveau paysage bucal je ne retrouve que ma langue bien en place et qui arrive même à faire son travail. Ça m’épate.

Le chirurgien passe. Poignée de main, « Comment ça va, vous prenez bien vos antibios, vous m’appelez à la moindre inquiétude, on se voit dans quinze jours, Aurevoir ». 30 secondes, toujours plus fort le Speedy.

Ma petite sœur, synchro, survient toute pimpante sitôt après. Et on prend le chemin de la maison. Il est 17 heures, je suis chez moi, au chaud et en bonne compagnie. On discute gentiment, moi en choinchointant. Oui c’est bien ça, ça chointe plus que ça zozotte et c’est rigolo. Très vite vannée, je rejoins mon lit alors que la nuit n’est pas tombée. Je dois prendre le temps de rincer bouche et prothèse. Dans le miroir, je me découvre sans dents, un peu gonflée de partout autour de la bouche. Dedans aussi. C’est très moche.

En me pelotonnant sous la couette, je ferme les mirettes avec la vision de ce que pourrait montrer le visage d’une autopsiée bien amochée par une très longue vie.

 

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